Physical Address
304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124
Physical Address
304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124
Il n’est donc pas comme eux, jamais. Ni ici ni là-bas. Pour l’instant, il est là-bas, qui est devenu son ici depuis quelques semaines. Quelques semaines de rab par rapport à l’agenda initial, depuis que tous les vols au départ du seul aéroport du pays ont été suspendus, malgré l’appel du gouvernement français à ce que ses ressortissants rentrent au pays, « la tension montant dans la région », « par peur de l’escalade ». Tous ces mots qui, à force, se vident de sens comme une bête de son sang sous la main de l’homme.
Aux Résidences, lieu au luxe étrange et boiteux, siégeant avec inconscience entre deux bretelles d’autoroute, à quelques kilomètres au nord de la ville, là où ses parents se cachaient pendant la guerre, il y a quarante ans, autour de la grande piscine de 50 mètres au fond carrelé de minuscules carrés bleu ciel dont certains ont sauté depuis le temps, à la manière des strass sur une bague un peu cheap, il les observe toutes et tous, allongés en épi dans des transats en plastique ou nageant, lents et souples, çà et là.
Les hommes. Leur corps souvent massif, brun et poilu comme le sien. Celui des femmes plus composite, mais affichant des ongles des pieds, tous sans exception, habillés de vernis de toutes les couleurs ; du fluo, de la nacre, du chrome. Et partout, attachés à eux, des enfants agités et rieurs, ressemblant aux siens.
Il voit clairement un peu de lui en eux, mais il dégage un parfum qui fait qu’on l’identifie tout de suite comme binational. Français. Depuis qu’il est coincé là, aux Résidences, à dormir à huit, avec en plus, sa belle-sœur, son mari, leur fille, sa mère, dans le petit appartement B16, baptisé à tort et à travers « cabanon », il est habité par ça : comprendre ce qui les fait eux, ce qui le fait lui. En dehors de ces quelques années vécues après la guerre, où eux, adolescents, sont revenus au pays pour s’y installer, et lui est resté en France.
Dans l’ensemble, il se sent comme eux. Aucune différence. Sauf le café. Il ne peut pas boire leur café. Il se trimballe partout avec, au fond de sa valise, sa petite cafetière italienne et du café moulu de qualité, acheté cher. Mais il ne peut pas boire leur café, et n’étant pas outillé pour se réveiller et vivre sans café, la cafetière est dans son sac, partout avec lui quand il vient ici.
Et ce matin, à la piscine, tandis qu’il les observe, il découvre une autre différence entre eux et lui. Dans l’eau, là où on a pied, il joue au ballon avec le plus jeune de ses enfants, mimant une défaite historique sous les tirs intenses et si peu ciblés de son fils. Avant de comprendre, il voit. Les corps en maillot coloré des uns et des autres se coucher au sol, dans les flaques d’eau chlorée. Il lève le nez. Un avion militaire et interdit traverse leur ciel, accélère et passe le mur du son.
Il vous reste 29.74% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.